Curve Finance est un des protocoles fondateurs de la finance décentralisée avec MakerDAO, Uniswap et Aave. Connu par son UI minimaliste, ce stableswap s’est déployé sur de nombreuses blockchains et reste un des projets avec le plus de TVL. Même si nous sommes tous habitués à sa présence dans la finance décentralisée, Il est cependant important de revenir sur le détail de son fonctionnement mais surtout sur la Curve War qui est un modèle pour comprendre un des aspects essentiels de la DeFi.
La spécificité d’un stableswap
On ne peut comprendre le fonctionnement de Curve Finance que si on le compare avec celui des AMM (Automated Market Maker) du type Uniswap. Lors de début de la finance décentralisée en 2017, le besoin d’échanger des stablecoins entre eux dans un but d’arbitrage s’est accru au fil des mois. Cependant, les pools de liquidité de ces AMM ne sont pas optimisées pour ses pools de stables puisque la plupart de ces pools ont une valeur volatile et subissent l’impermanent loss. Elles doivent optimiser l’usage de la liquidité, afin que la pool ne soit pas vidée, au risque de créer un slippage important, ce qui signifie qu’il peut y avoir un écart entre le prix du token et son prix d’achat.
Un stableswap n’a pas à prendre en compte cette volatilité. Il peut donc offrir un slippage très réduit, il peut être même 100 fois plus petit que celui présent sur Uniswap (“ it offers a Uniswap-like automated exchange with very low price slippage (typically 100 times smaller”, Curve StableSwap whitepaper).
Le principe général de Curve Finance
Le projet Curve Finance a été élaboré en 2019 et dans un premier temps a optimisé le swap entre trois stablecoins: le DAI, l’USDC et l’USDT. En utilisant le principe de Balancer, Curve a mis en place des pools à trois tokens ou plus pour diminuer encore plus le slippage. En 2021, Curve Finance a mis en place des pools avec des tokens qui pourraient être décorrélés comme le stETH, le token de liquid staking proposé par LIDO depuis la possibilité de staker l’ETH. Théoriquement la pool stETH/ETH est stable mais le stETH peut perdre son peg par rapport à l’ETH (ce qui est très fréquent depuis la création de ce token puisqu’il faut attendre la mise à jour Shangaï – qui ne sera pas déployée avant le printemps 2023 – pour qu’il possible de déstaker les ETH stakés). Curve a alors mis en place un mécanisme pour soutenir ce token afin qu’il retrouve son peg. De plus en plus de pools de même type (ex: wBTC/sBTC) ont été ensuite mises en place. La V2 a permis aussi la mise en place de pool volatiles (ex: ETH/CRV) tout en gardant le mécanisme de réduction maximal du slippage.
La token CRV et la Curve Wars: le coeur de l’écosystème Curve
Un autre élément est fondamental pour minimiser le price impact: une liquidité importante. Elle permettra de faire des swaps importants sans changer fondamentalement l’équilibre de la pool. Il faut donc inciter les utilisateurs du protocole à devenir des liquidity providers. Le token CRV, qui est le token de gouvernance du protocole, a ainsi ce rôle incitatif. Ce token lancé en août 2021 a la plus grande partie de son émission sur cinq ans, même si en réalité la plus grande partie a déjà été émise.

Le CRV est distribué au liquidity providers. Ce token peut être staké et locké pour une durée plus ou moins longue (jusqu’à 4 ans) pour obtenir des veCRV qui définissent notre voting power et qui permettent d’obtenir une partie des revenus du protocole (ce qu’on appelle du real yield). Curve a en effet par ce mécanisme inventé les veToken dont le modèle a été repris par de nombreux protocoles. Ils permettent à ces derniers de maintenir la liquidité de leur token en engageant leurs utilisateurs sur le long terme. Cela a réussi à Curve puisque les stakers ont en moyenne locké leur token pour 3,6 ans. Le principal intérêt des veCRV est de pouvoir voter pour l’orientation des émissions de CRV entre les différentes pools.
Les whales ont donc intérêt à accumuler du voting power et donc du veCRV pour orienter les émissions de CRV dans les gauges dans lesquelles ils apportent de la liquidité. D’autant plus que la possession de veCRV sert de boost qui permet de multiplier le rendement au maximum par 2,5, le nb de veCRV nécessaire pour atteindre ce boost dépendant de la liquidité présente dans la gauge. L’importance de ce contrôle des émissions du 4ème protocole de la DeFi (du point de vue de la TVL) est tel qu’il est à l’origine de la Curve War.

Avant de décrire cette Curve War, il faut introduire le dernier élément mis en place par Curve et qui est est devenu essentiel dans les nouveaux protocoles DeFi: les bribes. En effet, tout l’enjeu de Curve est d’orienter l’émission du token de gouvernance. Les projets qui ont des pools sur Curve peuvent inciter les utilisateurs à voter pour ces pools (et ainsi inciter les liquidity providers à se positionner sur ces pools) par des pots de vins (=des bribes), des récompenses supplémentaires données aux liquidity providers.
La Curve War: Convex et ses concurrents
Il est impossible de parler de Curve sans parler de Convex qui est un protocole construit sur le premier. Convex se nomme lui-même un “Boosted Curve Staking”, ce qui indique clairement son rôle pour les utilisateurs. D’une certaine manière Convex sépare les deux principaux aspects du veCRV: son rôle économique et son rôle politique. Convex permet aux holders de CRV de staker leur token sur sa plateforme sans les locker. Les stakers récupèrent les récompenses des veCRV optimisés ainsi que des récompenses en CVX. Ils peuvent revendre leur position quand ils le veulent puisqu’ils reçoivent du cvxCRV qui correspondent à leur dépôt. En échange, Convex accumule ainsi du voting power puisqu’il va staker sur Curve les tokens que les utilisateurs stakent sur son protocole. Il va donc utiliser son voting power pour optimiser ses rendements. Cela lui permet par exemple d’obtenir des boost maximals sur les pools.

Convex n’a pas été le seul protocole à essayer d’accumuler du voting power. On peut en citer au moins deux autres: Olympus DAO et Yearn Finance. Olympus DAO est devenu célèbre en 2021 en mettant en place une réserve de valeur dans laquelle le protocole possède sa propre trésorerie. Par l’intermédiaire des bonds, le protocole a ainsi accumulé des CRV à partir de la proposition de gouvernance 43 afin d’orienter l’émission des CRV vers les pools contenants du OHM.
Yearn Finance est un des premiers optimizers de la finance décentralisée et il peut être rapproché car Curve est un des principaux protocoles sur lequel les stratégies de Curve sont construites. On peut aussi staker ses CRV sur Yearn Finance pour déléguer son pouvoir de vote et optimiser ses positions.

On pourrait citer d’autres protocoles qui sont parties prenantes de cette guerre (Redacted Cartel, StakeDAO…) mais il s’agissait surtout de vous expliquer son principe général. Nous aurons peut-être l’occasion de l’approfondir dans un autre article. De plus, elle est moins intense que l’année dernière car les revenus distribués par Curve ont largement diminués.
De septembre 2021 à mai 2022, Curve a distribué quasiment chaque semaine au moins 1 million de dollars aux stakers de CRV. En décembre 2022, la distribution a été entre 130 000 et 160 000 dollars par semaine. Avec un butin divisé par dix, il est compréhensible que la guerre soit moins intense.
Malgré le bear market, Curve Finance reste un des piliers de la finance décentralisé. Longtemps resté uniquement sur Ethereum, il s’est maintenant déployé sur une dizaine de blockchains. Présents sur les layers 2 (Arbitrum, Optimism, Polygon), des layers 1 (Avalanche, Fantom, Celo), une zone de Cosmos (Kava) et une parachain de Polkadot (Moonbeam), il est un incontournable des stableswaps et a montré plus d’une fois sa capacité d’adaptation. Avec son système de veToken et de bribes, il a ouvert la voie aux nouveaux protocoles de la finance décentralisée.
Une réflexion sur “Qu’est-ce que Curve Finance ?”