Depuis le lancement de ETHLend et de MakerDAO, le marché du lending décentralisée s’est étendu sur l’ensemble des blockchains. Si cela a permis d’utiliser toutes les monnaies natives des réseaux comme collatéral, cela a aussi fragmenté la liquidité disponible dans le web3. De plus, ces protocoles peuvent aussi être questionnés du point de vue de leur utilité du point de vue de l’économie réelle. L’avenir du lending passe donc aussi par une amélioration de l’expérience utilisateur aussi bien que dans celle de la gestion de la liquidité.
Cet article fait suite à notre article d’introduction sur le lending.
I- un marché fragmenté, une liquidité morcelée
En cinq ans, le paysage de la finance décentralisée s’est complètement transformé. De 2017 à 2020, Ethereum a quasiment régné seul sur ce marché, puisqu’il n’y avait quasiment pas d’autres blockchains avec smart-contract. En dehors de ce réseau, tous les autres protocoles (tels Nexo) devaient être off-chain. Depuis, la situation a bien changé. Tron, la BNB Chain (appelée encore Binance Smart Chain) et Polygon se sont positionnés comme seuls outsiders jusqu’à l’été 2021. Encore à 22 milliards de dollars le 01 janvier 2021, la TVL sur les protocoles DeFi avait déjà atteint 81 milliards de dollars au premier juillet.
De mi-juillet à mi-mai 2022, nous avons assisté à une véritable explosion et fragmentation de la DeFi. La TVL globale de la DeFi a ainsi atteint 180 milliards de dollars en novembre 2021. Au même moment, le nombre de blockchains avec smart-contract a explosé. Les écosystèmes Avalanche, Solana, Cosmos, Polkadot se sont rapidement développés, dispersant la liquidité de la finance décentralisée.
Malheureusement, la chute de l’UST et du LUNA a détruit la confiance envers la finance décentralisée. En effet, en moins d’une semaine. des milliards de dollars ont été perdus par les investisseurs qui croyaient faire preuve de prudence en se positionnant sur un stablecoin. En moins d’un mois, les sommes investies dans la finance décentralisée ont été divisées par deux et depuis juin la TVL de la DeFi reste entre 50 et 60 milliards de dollars.
Actuellement, la TVL des 183 protocoles de lending répertoriés par Defilama est de 14 milliards de dollars. Bien que Aave, Justlend sur la blockchain Tron, MakerDAO et Compound attirent la plus grande partie de cette liquidité, on assiste à une fragmentation du marché du lending. Ce qui pose deux problèmes au niveau de la liquidité. Il y a souvent des pénuries de stablecoins à emprunter sur certaines blockchains. De plus, certains collatérals ne peuvent plus être sortis du protocole si le taux d’emprunt est trop élevés.
En proposant un système crosschain dans les prochains mois, le protocole Aave montre une des solutions possibles pour remédier à cette dispersion de la liquidité. Il est donc nécessaire de développer l’interopérabilité entre les réseaux pour généraliser cette solution.
La blockchain Kadena est construite pour remédier à cette dispersion qui fragilise la finance décentralisée. La chainweb permet une communication entre les différentes chaînes de Kadena, ce qui permet d’envisager à terme un usage de la liquidité quelque soit la chaîne sur laquelle elle est située.
II- une utilité encore marginale
Malgré les limites actuelles des protocoles de lending, la technologie des prêts collatéralisés peut être considérée comme stabilisée. Cependant, son usage est encore limité car il ne concerne que la circulation de la liquidité à l’intérieur du marché des cryptomonnaies. En effet, que ce soit au niveau des prêteurs ou des emprunteurs, la liquidité présente sur ces protocoles a peu de rapport avec l’économie réelle. On ne peut ni déposer des monnaies officielles ou des biens en collatéral ni utiliser nos prêts pour investir dans l’économie réelle. Le seul moyen de connecter ces protocoles à l’économie réelle est de passer par les échanges centralisés ce qui est difficilement compatible avec la philosophie de la finance décentralisée.
Pour l’instant, les trois utilités principales de ces protocoles: l’optimisation de ses investissements, la mise en place de boucle pour avoir des rendements sur plusieurs protocoles DeFi de manière simultanée et la possibilité d’avoir de la liquidité pour des achats reventes à court terme sans avoir à vendre ses actifs.
Dans le premier cas, le dépôt de cryptomonnaies permet d’obtenir des rendements grâce aux emprunts au lieu de holder simplement ses actifs. Il se conjuge souvent avec le second cas. En effet, il est possible de déposer un collatéral pour obtenir des rendements en tant que prêteur tout en empruntant des actifs. Ces actifs pourront ensuite être utilisés pour fournir de la liquidité sur un échange décentralisé par exemple. En dehors du risque de liquidation et donc de la nécessité de surveiller son taux de collatéralisation, ces boucles ont souvent été utilisées durant le bull dernier pour accumuler des tokens des protocoles DeFi.
Le troisième usage des protocoles de lending n’est pas le plus répandu. Et pourtant, il est peut-être le seul à véritablement annoncer la place de ces protocoles dans une économie décentralisée. Il consiste à emprunter des cryptomonnaies pour investir sur une autre position sans avoir à revendre ses actifs. Cette utilisation peut être envisagée par exemple pour un emprunt à court terme soit parce qu’on sait qu’on pourra avoir rapidement de la liquidité pour rembourser l’emprunt soit parce qu’il s’agit d’un processus d’achat revente sur le court terme. C’est dans cet usage que le lending décentralisé se rapproche le plus de l’économie réelle et pourrait avoir un impact sur elle.
III- renforcer l’expérience utilisateur du lending
Si nous voulons que le lending décentralisé joue un rôle dans la finance de demain, il faut améliorer l’expérience utilisateur sur plusieurs points.
Tout d’abord, les investisseurs doivent pouvoir unifier l’ensemble de leur collatéral. En effet, la fragmentation du marché est aussi la fragmentation des actifs de chaque investisseur. Qu’il possède du bitcoin, du kadena, de l’ethereum ou encore de l’atom, il devrait pouvoir utiliser l’ensemble de ses actifs pour faire un seul emprunt au lieu d’avoir à effectuer autant d’emprunts que de blockchains. Comme nous l’avons dit, l’utilisation de mécanisme crosschains deviendra de plus en plus une nécessité.
La finance décentralisée doit aussi réfléchir à sa connexion à l’économie réelle. Dans le domaine du collatéral, il faut envisager les moyens pour tokeniser un certain nombre d’actifs. Si la voie a été ouverte par certains protocoles permettant de mettre des NFT en collatéral, cette voie est peu intéressante car le marché des NFT collectibles est extrêmement volatile. Plus intéressant serait par exemple la possibilité de tokeniser des biens immobiliers ou une épargne bancaire. Dans ce cas, tout un ensemble de procédures juridiques doit être mis en place, par exemple en donnant un rôle aux notaires pour authentifier la tokenisation.
Il faut aussi améliorer la prise en charge des risques de liquidations. De plus en plus de protocoles utilisent maintenant des liquidations partielles, ce qui permet de rembourser uniquement la partie de la dette qui n’est plus collatéralisée. Cependant, cela nécessite encore une attention très régulière pour ne pas être liquidé lorsque le marché est volatif, sauf si on surcollatéralise énormément sa position, ce qui empêche d’optimiser l’utilisation de ses capitaux. Il faut peut-être envisager la mise en place de mécanisme d’alertes que les utilisateurs pourraient paramètrer pour les prévenir qu’un certain seuil de collatéralisation est passé.
Enfin, il est important de prendre en compte la proposition des soulbound tokens.. Pour l’instant, ceux-ci sont extrêmement élevés pour minimiser les risques pris par les emprunteurs mais aussi pour la sécurité financière du protocole. En effet, si trop d’emprunteurs se retrouvaient en même temps en position de liquidation, et qu’il n’y a pas assez de liquidateurs pour jouer ce rôle, le protocole serait en défaut de paiement. Cependant, grâce aux soulbound tokens, il sera possible de définir des profils d’emprunteurs. Un emprunteur qui a toujours été prudent dans la gestion de ses actifs pourrait donc bénéficier d’un taux de collatéralisation plus réduit, par exemple équivalent à l’emprunt. Certains projets travaillent même à la possibilité d’emprunt sous-collatéralisé mais il semble difficile de garantir la sécurité du protocole dans ce cas. Ces tokens seront donc essentiels dans le futur de la finance décentralisée afin de personnaliser l’expérience utilisateur. Cependant, en réintroduisant d’une certaine manière la notion de confiance, ils modifieront nécessairement la finance décentralisée. Nous ne pouvons pas encore savoir si cela est possible sans se rapprocher de la finance traditionnelle.
Cinq ans après la mise en place des fondations de la finance et du lending décentralisé, cette nouvelle forme de finance est arrivée à un tournant. Le prêt collatéralisé est un mécanisme qui a une certaine efficience au niveau technologique et s’est installé durablement dans le domaine des cryptomonnaies. Il faut maintenant passer à la seconde phase de son expansion. Pour cela trois aspects seront essentiels à prendre en compte, une meilleure gestion de la liquidité afin d’éviter une fragmentation croissante, un lien plus fort avec l’économie réelle et enfin une évolution de l’expérience utilisateur.