Aujourd’hui nous commençons une nouvelle rubrique dans Tendances Crypto: L’économie politique des cryptos. Le mot “politique” fait toujours peur et est quasiment tabou lorsqu’on parle cryptos. Pourtant, le terme “économie politique” a un sens ancien, il renvoie au rapport entre l’économie et le reste de la société, en particulier l’État et les lois. J’avais envie de parler depuis quelque temps de “l’économie politique des cryptos” afin de réfléchir avec vous sur l’évolution du marché crypto et la place qu’il peut prendre dans la société.
Titre un peu provocateur ? Sans doute car on ne peut nier que les stablecoins ont permis une arrivée massive de liquidité dans le monde la DeFi. Preuve en est, les trois stablecoins les plus importants sont dans le top 10 des cryptomonnaies. Je vais donc exposer les arguments qui me permettent d’affirmer que cette présence montante des stablecoins est en réalité un mauvais signe. C’est un des nombreux indices qui indiquent que le marché crypto perd peu à peu son identité première.

Pourquoi faut-il se méfier des stablecoins ? En fait, de la même manière qu’il faut se méfier du loup qu’on fait entrer dans la bergerie. La philosophie du Bitcoin était pourtant claire. Le seul recours contre la dévaluation constante des monnaies nationales est la création d’une monnaie immuable. Le nombre maximal de bitcoin sera de 21 millions. Évidemment, on sait qu’on est ici proche de l’utopie puisqu’il “suffirait” que la majorité des miners acceptent le changement du nombre de bitcoin pour que ce changement se fasse. Mais la décentralisation, relative, du minage permet de rendre très difficile ces changements.
Avec un nombre fixe, le bitcoin a une certaine rareté et sa valeur ne pourra qu’augmenter avec son utilisation croissante. Cependant, l’augmentation de sa valeur, si réelle soit-elle depuis ses débuts, est hypothétique quant à son futur. De plus, elle ne protège pas contre une forte volatilité sur le court terme.
On peut donc comprendre que beaucoup d’investisseurs se réfugient dans les stablecoins. Ils permettent de sécuriser des prises de profit tout en restant dans le marché cryptos. Mais ils sont aussi utilisés dans la finance décentralisée pour bénéficier sans risque des rendements de cette économie qui sont beaucoup plus élevés que dans l’économie classique. Petits ou gros investisseurs ont donc investi de plus en plus dans les stablecoins depuis 2020.
Parmi les ingrédients de cette belle histoire, tout le monde se rappelle évidemment l’UST de la blockchain Terra ainsi que du protocole Anchor et son rendement à 19,5% sur l’UST. On se rappelle aussi comment cette histoire s’est terminée. En mai 2022, l’UST a perdu sa parité au dollar, a entraîné le LUNA dans sa chute, puisque les deux étaient liés d’un point de vue algorithmique, et des milliards de dollars ont été perdus par les investisseurs. Ce drame a sans doute été l’élément final qui a conduit à l’hiver crypto que nous connaissons et à la fuite des investisseurs hors des protocoles DeFi. La fragilité des stablecoins n’est plus à démontrer depuis la chute de l’aUSD de Acala Network, le stablecoin natif de l’écosystème Polkadot, en août. Même si l’équipe d’Acala a réussi à “minimiser” les pertes en récupérant une grande partie des aUSD mintés par erreur, cela est une nouvelle preuve de la difficulté à garantir la stabilité de stablecoins decentralisés. Seul le DAI garde sa stabilité, mais avant tout parce qu’il est collatéralisé en partie par des stablecoins centralisés (USDC et USDT. En effet, si l’USDT, l’USDC et le BUSD sont le trio de têtes des stablecoins, c’est avant tout car leur cours est garanti par une réserve en dollars et non par d’autres cryptomonnaies.
La victoire des stablecoins n’est autre que la victoire du dollar sur le marché des cryptomonnaies. Non seulement, on attire à juste titre l’attention des régulateurs, puisqu’il semble logique que des rendements en stablecoins soient encadrés autant que les rendements de la finance traditionnelle, mais on renforce aussi le poids du dollar et des États-Unis au même moment où des pays émergents se tournent vers le Bitcoin pour avoir une monnaie plus stable que la leur tout en sortant de leur dépendance au dollar. La volonté de la blockchain Celo de développer plusieurs stablecoins est louable car elle évite la toute-puissance du dollar, au moins au niveau symbolique.
Alors que l’inflation a connu cette année des taux records et que nos monnaies ont été dévaluées dans les mêmes proportions, il est peut-être temps de réfléchir à la manière dont nous orientons implicitement l’histoire des crypos en choisissant de favoriser des positions en stablecoins afin de “sécuriser” notre épargne. Il n’est pas question de les éliminer car ils favorisent les échanges entre tokens et permettent d’entrer ou de sortir du marché crypto. Mais il est peut-être temps de réfléchir à la place que nous voulons leur donner.