J’ai un souvenir douloureux de mai 2021. Addict aux leviers, je voyais mon hypothétique monter chaque jour. Le 10 mai, un an jour pour jour, le drame arriva, ou plutôt commença. Cela m’a servi de leçon (et m’a appris à me servir des stop loss). Cette année, ce sont moins les addicts du leviers que les investisseurs prudents qui voulaient utiliser les rendements du stablecoin UST sur le protocole Anchor qui ont eu une mauvaise surprise. Depuis le 08 mai, l’UST n’est plus indexé sur le dollar et est arrivé ce matin à 0,22 dollars pendant quelques secondes. Les conséquences se sont enchaînées, le LUNA a subi une baisse sidérante et la fondation Terra a dû vendre du Bitcoin à perte pour éviter une catastrophe encore pire. Beaucoup d’investisseurs ont perdu de l’argent sur le LUNA et nous sommes tous dans une période difficile alors que le Bitcoin teste sa résistance autour des 30 000 dollars. Il faut espérer que cet épisode permettent de reprise plus saine des cours de certaines cryptomonnaies.
NB: J’ai une position sans doute extrême sur la blockchain Terra que j’assume entièrement. Comme vous le savez, j’essaie de proposer dans mes articles une certaine vision de la cryptosphère qui me guide autant dans mes investissements que dans mes analyses.
Pourquoi le LUNA et l’UST sont-ils indissociables ?
La blockchain Terra est construite à partir du Cosmos SDK et de son cœur Tendermint. En sortant le whitepaper de ce nouveau projet en 2019, Evan Kereiakes, Do Kwon, Marco Di Maggio, Nicolas Plattias voulaient apporter une solution pérenne pour des stablecoins décentralisés. La même année, MakerDAO sortaient le DAI, le premier stablecoin décentralisé collatéralisé par plusieurs cryptomonnaies dont le BTC et l’ETH. Contrairement à l’USDC et l’USDT qui sont garantis par une réserve en dollars, ces stablecoins sont dit algorithmiques car leur stabilité est garantie dans un rapport complexe à d’autres crypto-actifs.
Terra n’a pas créé un seul stablecoin mais plusieurs. Si l’UST est le plus connu, il existe une dizaine d’autres stablecoins adossés à l’euro, le yen, etc… Tous sont construits sur le même mécanisme.Terraform Labs, l’entreprise de Terra, a élaboré un oracle décentralisé qui calcule constamment le cours du dollar. Pour maintenir le prix de l’UST, il y a une interdépendance du LUNA et de l’UST (ou d’un autre de ces stablecoins). Il est possible de détruire de l’UST (burn) pour récupérer l’équivalent en LUNA (mint) et inversement. Cela va permettre un processus d’arbitrage lorsque l’UST dévie du cours du dollar. Si le cours de l’UST est inférieur à celui du dollar, il est possible de faire de l’arbitrage en envoyant un UST et en recevant l’équivalent d’un dollar en LUNA. Le protocole brûle l’UST, réduisant le nombre de tokens en circulation ce qui permet d’augmenter son cours. Le mécanisme inverse se produit lorsque l’UST a un prix supérieur au dollar. Ce mécanisme est prévu pour des variations minimes. Par conséquent le nombre d’UST qui peut être détruit par jour est limité.

La blockchain Terra a-t-elle péché par orgueil ?
Ce mécanisme permettait d’assurer dans un premier temps une offre de stablecoins décentralisés à l’écosystème Cosmos puis aux autres blockchains. Cependant, Terra peu à peu décidé de prendre son autonomie et de devenir un layer 1 développant son écosystème au même titre que Ethereum ou la Binance Smart Chain. Preuve en est que les applications qui se sont développées ne sont pas compatibles avec Keplr, le wallet de l’écosystème Cosmos. L’application la plus connue est évidemment Anchor, qui propose un rendement à plus de 19% pour un dépôt en UST. Anchor détenait la plus grosse partie de la TVL (Total Value Locked) sur la blockchain Terra avec plus de 14 milliards d’UST déposés il y a encore quelques jours. Les autres protocoles, à part LIDO, ont une TVL négligable et utilisent souvent une couche supplémentaire au-dessus de Anchor qui n’augmente donc pas la TVL valeur sur la blockchain (par exemple un utilisateur peut bloquer des UST sur un protocole pour un lockdrop contre des tokens du protocoles et en échange le protocole dépose ces UST sur Anchor). Anchor a ainsi permis à Terra de devenir la deuxième blockchain de la finance décentralisée en termes de TVL. Malheureusement, les sources de revenues de Anchor ne suffisent pas pour payer les rendements puisqu’elles dépendent des emprunts faits sur son protocole qui sont en fait largement inférieurs aux dépôts. La situation n’était donc pas viable. La fondation Terra avait déjà dû renflouer les caisses de la réserve mais une diminution des rendements avait déjà commencé pour se laisser le temps de chercher une solution pérenne.

Comment l’UST a perdu son indexation au dollar ?
Le dépeg a commencé avec la vente de 285 millions d’UST sur Curve Finance le 08 mai . L’UST est descendu à 0,985. Un depeg de 1,5% mais suffisant pour créer un mouvement de panique. Deux milliards d’UST sont immédiatement retirés d’Anchor. Résultat, le cours du LUNA chute de plus de 50% durant la nuit. Grâce à l’intervention de Do Kwon, le CEO de Terraform, l’UST revient à 0,996. Malheureusement le pire était encore à venir. Apparemment, un investisseur a vendu le 09 mai un milliard d’UST tout en shortant le BITCOIN. Pour contenir, la chute de l’UST la fondation Terralabs a dû vendre ses BTC. Cela a créé une pression vendeuse et une panique. L’investisseur à l’origine de cette attaque, qui n’est donc en rien illégale, a gagné 800 millions grâce à ce short. Pendant ce temps, l’UST a continué à descendre jusqu’à 0,22 dollars le 10 mai au matin. Le seul moyen de faire remonter son cours est donc d’utiliser le mécanisme de burn. Mais cela fait baisser le prix du LUNA et sa capitalisation ne pourra plus suffire à absorber tout l’UST. Encore à 119 dollars début avril, le LUNA est à cette heure-ci à 1,6 dollars. Il est probable que le LUNA atteigne dans quelques heures un cours cent fois inférieur à celui de son record historique.
Et la suite ?
À court terme, il est urgent de ramener le cours de l’UST à 1 dollar. La LFG (Luna Foundation Guard) n’a plus beaucoup de solutions. Après avoir vendu ses BTC, il ne lui reste plus que les AVAX acquis le mois dernier au prix fort. Deux solutions sont donc mises en avant, les deux ayant sans doute la même conséquence indirecte. Do Kwon propose d’augmenter le nombre journalier de burn d’UST alors que la fondation cherche à faire un prêt en échange de LUNA vendu à prix réduit… Dans les deux cas, cela se traduirait par une augmentation du nombre de LUNA en circulation, ce qui ne permettrait pas à son cours de reprendre une perspective haussière d’ici les prochains jours, mais sauverait l’UST.

En essayant de prendre un peu de recul, il faut aussi se dire que cela peut inciter Do Kwon a changer de stratégie vis-à-vis de Terra. Ce qui s’est produit ne se serait pas produit s’il y avait moins d’UST en circulation, ou plutôt si le nombre d’UST était monté de manière plus organique, ce qui aurait laissé le temps de sécuriser davantage la blockchain et donc le mécanisme de maintien du prix de l’UST. Il est donc urgent d’abaisser les rendements sur Anchor pour trouver une solution plus viable. De même, peut-être est-il temps de rentrer complètement dans l’écosystème Cosmos et de jouer pleinement son rôle. La philosophie de Cosmos : 1 zone = 1 usecase a aussi du bon pour éviter ce genre de catastrophe.
Depuis lundi, la cryptosphère ressemble à un champ de bataille et chacun assiste à la blessure (ou l’agonie ?) du LUNA. Tout le monde pense évidemment à l’arrivée du Bear Market. Pour l’instant, le BTC reste sur son support à 28 000 dollars, les 30 0000 n’ayant été testé qu’une fois. Les prochains jours nous diront peut-être quel est le résultat de cette bataille.
3 réflexions sur “Méfiez-vous du mois de mai! LUNA mis à Terra”